Poèmes de Amon'Thal Mëarhuinë

Le sacrifice.


Voici que se met a souffler un vent etrange
Il en vient meme a arracher les portes des granges,
Retournant les toits de paille,
Fouaillant dans les entrailles.
Arrachant arbres et rochers,
Rien ne semble pouvoir l'arreter.
Face a lui s'est dresse un rempart
Ses composants sont nombreux et divers :
De la boue au diamant, en passant par
Le simple gravier ou l'humble poussiere,
Chacun se serre contre son voisin
Esperant resister a ce peril tant craint.

Et toi petit gravillon,
Es-tu pret a venger l'affront?
Pour ne pas etre emporte par le flot tumultueux
Tu devras te comporter en guerrier valeureux.
De derriere l'horizon surgissent milles abominations
Qui t'observent avec tes compagnons raffermir vos positions.
Le ciel s'assombrit un instant,
Empli d'espoir un nuage de dards
S'envole depuis le rempart,
Et le temps reste en suspens
Tandis que les debris par la tempete charies
Les premieres couches du mur viennent effriter.

Partout eclosent les fleurs amarantes,
Les premieres rafales s'abattent sur le mur,
OU commencent a apparaitre des fissures
Par lesquelles s'engouffre l'horreur hurlante.
Lumiere et Ombre alors s'emmelent
Puis, comme au gre du hasard,
Laissant sur le sol nobles et vils epars,
Dans le fracas se demelent.
La sombre tempete est pleine de rage
Mais la vie de l'espoir est le gage,
Ni le roc ni le gravillon ne reculeront
Conscients qu'a un fil ne tient leur bastion.

Au milieu des elements dechaines
Le gravillon tente de s'enraciner,
Fendant comme il peut le vent,
Voila que jaillit une tornade ci-devant.
Son esprit elle menace d'aneantir
Mais solide sont ses fondations,
Sans courber l'echine il fait front
Et seul son corps entre ses griffes elle dechire...
Petit gravillon qui a fait de son mieux,
Ce froid qui t'envahit point ne crains :
Regarde autour de toi tous ces preux
Pour lesquels tu n'es pas tombe en vain...

Crépuscule.



L'acier bleute reflete vers mon oeil
La lumiere spectrale de l'astre lunaire
Qui m'a permis d'eviter les ecueils
Quand mon souffle millenaire devint amer.

Ce soir, fidele gardienne aceree,
Tu goûteras au repos dont tu as tant fait fi.
Plus jamais ton chant guerrier
Ne s'elevera par terrasser l'ennemi.

La vibration de l'antique bois
Qui apres des siecles se relache,
Je la ressens dans mon bras
Comme si j'etais la branche qui de l'arbre se detache.

Ce soir, fidele gardien vigilant,
Tu goûteras a la paix pour l'eternite.
Plus jamais tes traits ne perceront le vent
Et tu pourras a jamais te relacher.

Les flux circulent librement en moi
Depuis des temps si lointains
Que je ne me rappelle meme pas
Quand j'ai eu ce present divin.

Ce soir, fideles gardiens mysterieux,
Puissiez vous retourner a Celle
Envers qui mon devouement le plus respectueux
Ira quoi qu'il arrive : la Sentinelle.

Louee soit Elle de m'avoir accorde
Cette divine attention, mais
Cela ne me sera d'aucune utilite
La ou a present je m'en vais.

Ce sourire qui sur mes levres vient flotter
Cette felicite qui de mon ame s'est emparee,
Cette legerete qui chasse toute peur
Et me fait ressentir cet organe oublie : mon coeur.

Ce soir, ame si veille que sa memoire est floue,
Je m'en vais au plus profond de la Grande Foret
Retrouver ce qui fut tout, est tout, et sera tout.
Ce soir c'est pour revoir Mere Nature que je m'en vais.

Alacrité


Devant mes yeux dansent les herbes, folles.
Sous un ciel d'encre, cette etendue
Par la foudre eclairee, je l'ai deja vu.
Droites, courbees, certaines meme s'envolent.
A nouveau je penetre dans cet antre,
Alors que le feu devore mon ventre.

Comme jadis, il me semble que j'agonise,
Que mes entrailles et mes membres se carbonisent.
Cette vague de flambantes sensations
N'epargne aucune de mes passions.
Il ne reste plus rien du passe decousu,
Car a present regne un vide absolu.

Enfin, me parvient le bruissement de l'air,
La chaleur d'un doux mouvement,
Et a nouveau je sens le goût du fer,
Cet etrange accent qui me ramene en arriere,
A cet endroit ou plus rien ne ment
Quand tout parait devenir blanc.

Mes sens ne sont plus les miens
Si ce n'est l'impression que mon sang,
A present habite d'une etrange faim,
Pulse en rythme dans ce corps brûlant.
De complexes arabesques, si rapides,
Semblent teinter cet intemporel vide...

L’esprit dans le neant perdu,
L’ame au loin dispersee,
Le cœur dans son carcan range,
Je ne m’appartiens plus.
Quelque part le glas sonne
Et je m’abandonne.

Quel est donc cet intriguant dessin
Dans lequel sans fin je m'abime?
Quelles sont donc ces cimes
Qui chantent avec tel ton badin?
Quel est donc ce vaste univers
Que nul n'egale en cette terre?

La caresse d'une plume sur mon ame
Apaise doucement cette impetueuse flamme
Qui m'avait emmene loin, si loin
Que personne, seul, n'en revient.
Mon corps veut revenir, s'exprimer...
Je me sens comme un nouveau ne.

A present, plus aucune zebrure argentee
Ne strie le paysage que je venais d'admirer,
Plus aucune herbe dans le vent ne fremit,
Autour de moi, plus rien ne bouge.
Ma main tatonne et d'un brin se saisit.
Il est rouge.

Séide de safran



Voila la fine dechirure,
Qui lentement deverse, carmin,
L’apre substance des plus pures
Dont je couvre mon teint.

Alors debute l’incandescence
Qui soudain absorbe mon ame.
Mais la nulle absence.
Autre chose. Une flamme.

Telle une chatoyante lueur divine
Elle eclaire distinctement mes pas
Sur ce mysterieux chemin aniline
Ou, sournois, guettent mille trepas.

Mes freres, partageons sans attente,
Dans une union a jamais celebree,
Ce fier et bouillant flux amarante
Et jurons pour toujours fidelite.

Seul compte desormais ce brasier
Qui purifie nos passions
Par la flamme de la foi embrase
Pour nous liberer des emotions.

A present accomplissons notre devoir,
Celebrons Sa gloire.
Gardiens eternels,
Debarrasse de nos carapaces existentielles.

Les inconciliables amants
(Sonate pour fiel et dilection)



C’est un paysage immobile,
Un univers tiede et tranquille.
Mais ici tout est illusoire,
Encore faut il regarder pour voir.

Oui, voir les noires volutes qui s’elevent,
Tenebres dans lesquelles tout espoir s’acheve.
C’est la un insondable neant
Ou meme s’arrete de souffler le vent.

En plein cœur de ces etendues sombres
Une lueur inattendue eloigne les ombres.
C’est la l’intense flamme de la foi
Qui d’une brillante lumiere flamboie.

Se rassemble la noire brume,
En son ame la haine s’allume
Alors que feule l’ardent brasier
S’appretant a s’elancer.

Ces deux etres aux antipodes
S’observent avec attention.
L’air semble se transformer en plomb
Quand jaillissent les mesures de l’ode.

S’abattent les stridents eclairs.
Se dechaine l’aveuglant tonnerre.
Explose la tempete d’acier.
Se fend le sol dechire.

Enserre dans les sombres sangles,
Le feu, pris au piege, s’etrangle
Tandis que la brume se disperse
Alors que les flammes la transpercent.

C’est une intrigante melopee
Qui fait danser ces etendards.
C’est un etrange couple enlace
Qui vient s’offrir a notre regard.

Ombres et lumieres dans une accolade
Chantent ensemble une fascinante ballade,
Exercant son puissant charme,
Qui vient attiser nos larmes.

L’envoûtante danse s’accelere,
Complexes tourbillons dans l’air.
Les pas de l’antique musique
Prennent alors un rythme frenetique.

Successivement sang et mort s’enchevetrent
Puis, comme la musique, se figent ces deux etres
Au sein de cette gracieuse parade.
…C’est la fin de la serenade.

La brume se dilue, devient pale
Reduite a l’etat d’une flaque sale,
Tandis que l’apre rougeoiement
Ne brille plus si ardemment.

Les vifs danseurs sont epuises,
Le couple douteux doit se separer.
Car deja, visible de tres loin,
Se profile le couplet prochain.

Ici rien n’est vraiment immobile,
C’est un univers pas si tranquille.
Il faut plonger dans ses illusions,
Afin de retrouver la vision.

Pour toi, sombre veilleur. Namarie.

Oiseau de Nuit



Noir oiseau au fin et delicat plumage,
Quand jaillit la sublime lumiere lunaire,
Tu la suis au sein meme des nuages
Jusqu'au plus profond de l'intangible ether.

Dans ton sillage d'etoiles parseme,
Dans ton regard perdu a l'horizon,
Mes yeux s'egarent, emerveilles,
Et mon coeur s'emplit d'emotions.

Mysterieux, irreel, ton vol magnifique
Dans les brumes cree des volutes
Semblables a la melodie d'une flûte,
Douce, subtile, palpitante, magique.

Puisse ton voyage ne jamais s'arreter,
Puisses tu continuer cet hypnotisant ballet
Qui chaque nuit m'emmene rever,
Dans Son infini royaume de jais.