[ Conte ] l'elfe et l'yrch, par Laëre

par Laerë :

J’ai entendu une petite histoire que j’aimerais vous conter. C’etait dans les bois si profonds de la Taure, comme il se doit, dans le sud, non loin de la ou notre domaine laisse la place aux mornes et plaines qui s’etendent jusqu’aux montagnes.
En ce temps la, les yrchs etaient deja installes dans leurs villes fortifiees, en ce temps la la guerre etait deja toute leur vie. L’un d’eux, un grand combattant parmi les siens, poursuivait ce qui pour lui etait la gloire et l’honneur, car ces valeurs ont beaucoup d’importance pour les ephemeres que la hantise de disparaitre obnubile. Il recherchait un adversaire a sa hauteur, il ne le trouvait pas.
Alors il quitta les plaines, parcouru le monde. Mais a chaque defi, a chaque bataille, il emportait une victoire facile. A chaque combat, l’idee de ne trouver personne capable de le defaire lui pesait un peu plus. Alors il continuait, encore et toujours.

Un jour, il penetra dans la foret, derniere place au monde ou sa quete ne l’avait encore mene. Peu nombreux sont les elfes qui resident dans les villes. Ainsi, il rencontra bien vite une petite communaute de quendi isolee.

Avec brutalite, il exigea de combattre leur champion. Mais aucun n’etait combattant. Chasseurs, artisans, poetes et meme chanteurs. Pour defendre leur vie et notre si chere Taure, ils tenterent de le combattre. L’un apres l’autre, ils echouerent. Un quende vint proposer son aide. Il s’appelait Venlil Daelor. Les siens tenterent de le decourager, mais il resta inflexible. Ce n’etait ni un combattant, ni un mage. Il s’approcha de l’yrch, desarme.


Lache ! Viens de battre lui cria l’autre. Si tu veux proteger ta foret, viens te battre ! Viens me vaincre !
L’elfe s’avanca vers le guerrier, silencieux, puis s’arreta en face de lui.

Ce dernier vitupera de plus belle, provocateur. Pourtant Venlil de repondit pas et le laissa continuer.
Finalement, lorsque l’yrch se tut enfin, il prit la parole, calme et serein.

Je ne vais pas me battre. Quel honneur a combattre lorsqu’on sait ne pouvoir gagner ? Quel honneur a combattre lorsqu’on est sûr de sa victoire ? Que vous apporte donc le combat ? Que desirez-vous ?
Il s’interrompit quelques instants, pensif, alors que le guerrier l’observait avec suspicion.

-J’ai passe ma vie a me battre ! Pour qu’on se souvienne de moi ! Pour prouver au monde que je suis le meilleur guerrier.

L’elfe enchaina aussitot.

- Pourquoi alors continuez-vous a chercher la bataille ? Vos qualites de combattant sont deja amplement demontrees. Vous devez etre une legende parmi votre peuple. Que cherchez-vous donc ?
- Je cherche celui qui pourra me vaincre. Celui qui m’offrira une mort digne de ma vie. Dans la gloire et l’honneur. Maintenant, bats-toi !

Le silence seul repondit a l’yrch. Venlil l’observait, pensif. Puis, avec la meme serenite, il continua.

- Ainsi, lorsque vous l’aurez trouve, tout s’arretera ? Votre vie a donc une fin ? Et que restera-t-il de votre œuvre ? Des souvenirs... Eux aussi seront oublies, un jour… Bien avant que les miens ne s’eteignent.
Ecoutez autour de vous. Voyez la beaute de ce qui vous entoure. Vous qui avez vu le vaste monde, ne trouvez-vous pas cela merveilleux ? C’est pour cela que nous nous battons. La Taure nous survivra, et ainsi chacun de ceux qui fouleront son sol honoreront nos sacrifices.

L’orc resta silencieux, son regard percant fixe dans celui du ner. Ce dernier reprit bientot la parole

- Il y a de l’honneur dans le combat en effet. S’il est juste et equitable. Vous ne trouverez personne pour vous egaler, alors pourquoi vouloir continuer ? Lorsque vous perdrez enfin, que vous restera-t-il ?
Votre quete n’est-elle donc sans issue ? Si je meurs, je sais que je l’aurai fait pour La Taure, pour le domaine et que mon sacrifice ne sera pas inutile. Si vous mourrez, ce sera pour prouver finalement que vous n’etes le meilleur combattant... Pour montrer que votre vie etait un echec, en quelque sorte.

L’yrch sembla vaciller quelques instants, comme sous le coup d’une lame pourtant invisible. L’immense creature tremblait, tenant fermement son arme. Pour la premiere fois depuis si longtemps, il avait peur.

-Je sais pourquoi vous cherchez tant a trouver celui qui vous vaincra. Je sais ce qui motive votre quete. Elle donne un sens a votre vie. Elle comble le vide de votre ame.
Mais est-elle la bonne reponse ? Elle n’apporte que mort est destruction. Et plus vous avancez, plus vous sentez le vide en vous, et plus vous pressez le pas. Vous savez que cette quete n’est pas la bonne.
Vous le savez…

Les paroles du ner resonnerent dans l’esprit de l’yrch…
Soudain, il se jeta en criant sur l’elfe qui n’avait esquisse un geste. L’arme frappa, sans pitie, simple outil entre les mains de sa folie.

L’elfe chuta, touchant presque gracieusement le sol. Il n’avait fallu qu’un coup. Les elfes qui observaient la scene reculerent d’un pas, comme s’ils avaient ete eux aussi touche par la violence de la frappe.

L’yrch resta sans bouger de longues minutes. Le temps semblait s’etre arrete, il fixait le visage si calme et serin du ner, jusque dans la mort.

L’arme chuta, frappant lourdement la terre. L’yrch etait incapable de faire le moindre mouvement, paralyse par la vue de ce corps, lui qui avait deja tant ote la vie. Lui qui avait tant combattu, tant tue, tant voyage... combien de temps resta-t-il la ? Tous ces voyages, toutes ces peines, toutes ces guerres, pour quelle raison, quel but ?

Maitre au maniement des armes, guerrier accompli, brave parmi les siens, il avait ete vaincu.

Finalement il leva la tete dans la direction des arbres, et, ignorant les quendi rassembles un peu plus loin, sans prononcer une parole, il reprit son arme en main.

Imperturbable, le chant de la Taure resonnait a ses oreilles. L’avait-il deja entendu ?

Le formidable guerrier leva son arme, pour frapper une derniere fois.

Cet etre si chetif, c’est lui qui lui avait arrache la victoire.

Alors que la vie se retirait lentement de son corps, il se souvint de ses exploits, de ses faits d’armes..
A chaque fois, ce visage si serein face a ses propres souffrances.

Le colosse s’affaissa finalement. Ouvrant une derniere fois les yeux, Il sut que sa legende s’arreterait la.. La devant ce visage si calme et assure, jusque dans la mort.

Je vous laisse le soin, lecteurs, de tirer la morale de cette petite histoire.